André, bagages sur les genoux, luttait contre le sommeil. Nous étions arrivés la veille à l’auberge de Jeunesse de Brighton ou l’accueil n’avait pas été des plus cordiaux. L’aubergiste devait loger plus de pensionnaires que ne pouvaient en recevoir ses locaux. Des lits de camps avaient été installés dans les couloirs et nous avions dû dormir là, tant bien que mal, dans le brouhaha incessant.

      J’avais passé la nuit, mon portefeuille collé contre le corps, craignant d’être délesté du peu d’argent qui nous restait, où, ce qui à mes yeux eût été pire encore de mon permis de travail

      Le bus ralentit, puis s’arrêta une nouvelle fois. Des femmes en descendirent portant avec peine des cabas trop chargés.

      De petits cottages aux murs sales, en rangs serrés s’étaient agglutinés en bordure de la route, tous semblables avec leurs toitures rouges, leurs barricades vertes, leurs portes trop étroites.

      En tournant la tête, on apercevait en contrebas les feux tricolores qui marquaient l’intersection de Lewes Road et de Bear Road. Un ciné-club marquait l’angle et vu d’ici occupait à lui seul tout le carrefour.

      Le moteur du bus laissa échapper un dernier râlement, puis commença une période de pause. La pente s’adoucit.

      J’aperçus un écriteau portant le nom de Bevendean Road.

      Une légère tape sur le bras d’André pour m’assurer qu’il ne dormait pas, et nous bondîmes vers l’escalier circulaire du bus, escalier que nous dévalâmes à la course.

      Le receveur décrocha la chaînette, porte symbolique arrière et nous sautâmes sur le bitume avant que le mastodonte n’ait stoppé.

      - C’est par-là ! Fis-je en montrant la direction d’où nous étions venus. Nous hésitâmes et jetâmes un dernier coup d’œil à notre bus, qui s’éloignait. Il attaquait une nouvelle montée, la dernière à mon avis.

      Nous longeâmes un mur décrépi jusqu’à l’angle formé par Bevendean et Bear Road. Les arbres avaient disparu sur cette portion de rue... Nous hâtâmes le pas. L’hôpital ne devait pas être loin. Un bus déboucha d’une rue adjacente.

      N’allez pas croire, que je me sois destiné à une carrière médicale... J’avais en poche un C.A.P d’employé de bureau, moi dont les seuls centres d’intérêts étaient la littérature et la langue de Shakespeare.

      À la sortie de l’école, j’avais travaillé comme employé dans une société de transport... J’avais rencontré là, une jeune femme, Agnès, dont l’ami travaillait dans un hôpital Brightonien.

Ami... Angleterre - passion - travail.

      Je postulais pour un emploi de Nursing Auxiliary.

(Aide soignant)... Je ne dus patienter que quelques jours avant de recevoir une lettre d’embauche.

      Nous étions début juillet et mon emploi débutait le premier septembre.

      Je démissionnais de mon poste d’employé de transport, et début août mon frère André et moi-même partions en auto-stop à la découverte de la Grande-Bretagne, avec l’intention de passer le mois d’août dans un périple improvisé.

      Les sacs placés en bordure de route, plantés à deux pas de la maison familiale, pouces tendus au vent, à l’intention des automobiles qui nous frôlaient, nous attentions pleins d’espoir et de confiance, notre première voiture.

      Je regardais le soleil rond se coucher sur les monts du Forez, avec le sentiment soudain que ce soleil était unique.

      Le ciel de bleu virait au gris. Une à une, les fenêtres des maisonnettes s’allumèrent, symbole de vie.

      Chaque fois qu’une lampe s’éclairait, je devais lutter plus fort contre le sentiment inéluctable de fuir, de trahir les miens, de renoncer à ma famille.

EXTRAITS